La Famille Brodeur
Une dynastie de la MRC
Une dynastie de la MRC
La Marine familiale
“En 1939, nous étions une “marine familiale” où nous nous connaissions tous et étions soudainement confrontés au défi d’aller à la guerre. ”
Éloge funèbre du contre-amiral Patrick Budge
9 janvier 1998
Du point de vue actuel d’une marine forte de quelque 12 000 militaires, il est facile d’oublier que la Marine royale canadienne était une armée de petite taille avant le début de la Seconde Guerre mondiale. La Canadian Navy List d’avril 1939 recense 125 personnes dans le corps des officiers permanents de la MRC; si l’on tient compte des réservistes de la RMRC et de la RVMRC, son effectif total reste inférieur à 400, tandis que l’équipage des trois armées compte moins de 2 300 personnes. Au sein d’un groupe aussi restreint, il était certainement possible pour chacun de se connaître, et certains noms nous sautent aux yeux aujourd’hui encore – Nelles, Murray, Brock et DeWolf sont des noms qui viennent tout de suite en tête.
Comme dans toute famille élargie, il était tout à fait raisonnable que de fortes amitiés (en plus de quelques inimitiés) se créent. Ce qui est plus remarquable, c’est que certaines de ces amitiés se sont avérées intergénérationnelles. Dans cet ordre d’idées, trois noms de famille se démarquent : les noms Brodeur, Mainguy et Stephens sont des cas particuliers, en ce sens que chacun des membres de ces duos père-fils a atteint le grade d’amiral. Leur impact combiné sur la Marine royale canadienne est sans égal et demeure un défi à relever et à dépasser pour certaines générations actuelles et futures.
La Médaille des Amiraux
En 1985, la Marine canadienne a célébré son 75e anniversaire. Pour marquer l’occasion, tout en soulignant le rôle complexe joué par leurs familles dans la Marine au cours de ces trois quarts de siècle, trois vice-amiraux occupant des postes supérieurs dans les Forces armées canadiennes ont créé un prix portant le nom de leurs pères, qui avaient également été officiers généraux dans la MRC:
La Médaille des Amiraux, adéquatement nommée, est décernée chaque année pour souligner les réalisations exceptionnelles dans les domaines de la science, de la technologie et des études universitaires liés au secteur maritime, ou pour l’application de compétences maritimes pratiques méritant une attention particulière. Pour renforcer le lien entre la notion de « Marine familiale » du passé et celle de la famille de la Marine du présent, la médaille a généralement été remise par un officier général supérieur en service de la MRC.
La famille Brodeur : Une dynastie de la MRC
Au sein de la panoplie de la Marine familiale, un nom a la particularité d’avoir vu trois générations successives occuper des postes importants pour la Marine canadienne – les Brodeur.
Plus qu’une lignée de service intergénérationnelle, leur histoire familiale est intimement liée à celle de la Marine depuis sa création:
Avec leurs réalisations consécutives couvrant la majeure partie du premier siècle d’existence de la Marine royale canadienne, les trois générations de la famille Brodeur constituent ensemble une véritable dynastie navale canadienne.
Bien que les grandes lignes de leur héritage soient bien connues, de nombreux détails auraient été perdus si Nigel n’avait pas eu la sagesse de préserver les papiers de famille (une rareté chez les officiers supérieurs de la marine canadienne). Au début des années 1980, il a fait don des papiers de son grand-père Louis-Philippe et de son père Victor-Gabriel à la Division des manuscrits des Archives nationales, et plus récemment, il a déposé ses propres papiers à la Direction – Histoire et patrimoine du QGDN à Ottawa.
Ce musée a le privilège d’avoir joué un rôle particulier dans la préservation de l’héritage familial. Le bâtiment principal était auparavant la résidence du commandant de la côte pacifique, dans laquelle Victor-Gabriel et sa famille ont vécu à plusieurs reprises au cours des années 1930. Dans la période d’après-guerre, cette résidence a servi à diverses fins administratives avant de devenir finalement une école primaire francophone qui, en 1977, a été nommée l’École Victor-Brodeur en mémoire du premier officier général franco-canadien (en 1985, l’école a déménagé de la base pour s’installer à son emplacement actuel sur la rue Head, mais elle a conservé son nom). De manière moins importante, nous sommes heureux d’avoir aidé récemment au transfert des papiers de Nigel à la Direction – Histoire et patrimoine.
Louis-Philippe Brodeur
Louis-Philippe Brodeur est né le 21 août 1862 à Beloeil, dans le Bas-Canada. Il est le fils d’un partisan des patriotes rouges et a grandi dans une famille politique. Il travaille comme jeune avocat chez Honoré Mercier (futur premier ministre libéral du Québec) avant de fonder son propre cabinet avec le futur sénateur Raoul Dandurand.
Il est élu pour la première fois à la Chambre des communes du Canada en 1891, en tant que député libéral de Rouville. Lorsque les libéraux remportent l’élection de 1896, il est nommé vice-président de la Chambre des communes. Il en devient ensuite le président après l’élection de 1900. Son ascension dans les rangs du parti se poursuit, et Laurier fait entrer Louis-Philippe au Cabinet, d’abord en tant que ministre du Revenu de l’intérieur en janvier 1904, puis en tant que ministre de la Marine et des Pêcheries en février 1906, ce qui fait de lui son principal conseiller au Québec, responsable du patronage dans la province.
En tant que conseiller de confiance de Laurier, Louis-Philippe se joint à lui et au ministre de la Milice et de la Défense, Sir Frederick Borden, pour représenter le Canada à la conférence impériale d’avril 1907 à Londres. Il partage la conviction de Laurier selon laquelle le Canada doit prendre en charge ses propres affaires. Ainsi, en réponse à la proposition controversée de l’Amirauté de centraliser la défense navale de l’Empire, Louis-Philippe proclame que le gouvernement canadien transformera le Service de protection de la pêche pour en faire « le noyau de la Marine ». Dans l’année qui suit, il réorganise son ministère afin de mettre ces plans à exécution. Lors de la conférence impériale spéciale de défense en août 1909, il obtient l’accord des Britanniques pour que les dominions autonomes puissent organiser leur propre défense navale, et dans le cas du Canada, grâce au prêt de deux croiseurs britanniques, soit un pour chaque côte.
Louis-Philippe passe l’automne 1909 à préparer un projet de loi visant à établir un service naval canadien. Malheureusement, il est frappé d’une maladie grave avant que le projet de loi ne soit présenté, et il est toujours absent lorsque la Loi du service naval reçoit la sanction royale le 4 mai 1910. Mais il s’efforce de transformer le prêt du croiseur en un achat pur et simple, et il est présent lors de l’arrivée du NCSM Niobe à Halifax le 21 octobre 1910.
Louis-Philippe accompagne Laurier au couronnement du roi George V en août 1911, en compagnie d’un contingent de marins du Niobe, dont son fils, l’aspirant de marine Victor-Gabriel. En raison de sa mauvaise santé persistante, il décide de ne pas se présenter aux élections générales de septembre, que les libéraux perdent en partie à cause de l’opposition à la Marine au Québec.
Néanmoins, pendant près d’une décennie, Louis-Philippe a été le libéral le plus important du Québec après Laurier, et le 11 août 1911, le premier ministre récompense son loyaliste de longue date en le nommant à la Cour suprême du Canada. Sa carrière judiciaire est considérée comme étant « plutôt sans histoire », mais il reste actif dans les cercles du Parti libéral et, à l’automne 1923, le premier ministre William Lyon Mackenzie King le nomme lieutenant-gouverneur du Québec. Il prête serment le 31 octobre, mais son mandat est bref puisqu’il meurt d’une hémorragie intestinale le 2 janvier 1924.
Victor-Gabriel Brodeur
Victor-Gabriel Brodeur est né à Belœil, au Québec, le 17 juillet 1892, l’année suivant la première élection de son père au Parlement fédéral. Il atteint l’âge adulte au moment où Louis-Philippe se consacre à la construction du « noyau de la Marine » autour du croiseur de pêche, le NGC Canada. Il n’est donc pas surprenant que Victor-Gabriel ait fait partie de la première classe de sept cadets à se joindre à ce bâtiment en octobre 1909, en prévision de la formation de la MRC. Avec l’arrivée du NCSM Niobe un an plus tard, ils sont tous transférés en tant qu’aspirants de marine sur le bâtiment de guerre, et en 1911, Victor-Gabriel est l’un des deux membres de la soute aux poudres du contingent qui se rend à Londres pour le couronnement du roi George V.
Outre le fait que Victor-Gabriel est devenu le premier officier général franco-canadien, ses 37 années de service ont été typiques de sa génération, avec un mélange étourdissant d’affectations à terre et en mer à tous les grades dans la Marine royale canadienne (MRC) et la Marine royale britannique. Un survol révèle qu’il a passé 16 de ces années en mer, et qu’il a occupé des postes supérieurs dans la Marine royale, dont celui de commandant (commandant en second) du croiseur HMS Durban dans la flotte méditerranéenne (de 1934 à 1937). Il a occupé ensuite pendant deux ans un poste d’attache à la division des opérations de l’Amirauté, avant de passer une année au Collège impérial de défense à Londres. Un point culminant de son début de carrière était le fait qu’il était le premier officier de la MRC à acquérir une spécialité d’artillerie (en 1920) à bord du NSM Excellent.
Avec une carrière englobant les deux guerres mondiales et la période tumultueuse de l’entre-deux-guerres, Victor-Gabriel a connu beaucoup d’action. Il obtient son brevet d’officier de quart à bord du NSM Berwick un croiseur qui a participé à la révolution mexicaine de 1914. Il passe ensuite toute la Grande Guerre en mer avec la Marine royale, en tant qu’officier de tourelle, d’abord à bord de l’emblématique cuirassé NSM Dreadnought (absent à la bataille du Jutland, mais ayant participé à quelques engagements plus petits dans ses eaux territoriales) puis à bord du croiseur NSM Caradoc, dans la mer Baltique pour la Révolution russe. Plus tard, en tant que commandant du NCSM Skeena et soutenu par le NCSM Vancouver, il veille à la protection des intérêts britanniques pendant les troubles de « la matanza [le massacre] » au Salvador en janvier 1932.
Victor-Gabriel commande une succession de destroyers dans la MRC, en commençant par le NCSM Champlain à Esquimalt en 1929. Il met ensuite en service le NCSM Skeena à Portsmouth en 1931 et l’amène sur la côte ouest. Plus tard, en tant que capitaine (D), il retourne à Portsmouth pour la mise en service du NCSM Fraser et du NCSM Saint-Laurent en 1937, puis celle du NCSM Ottawa et du NCSM Restigouche en 1938. Entre ces deux derniers événements, il commande la flottille canadienne du NCSM Skeena et du NCSM Saguenay lors de la revue de la flotte au large de Spithead pour le couronnement du roi George VI et de la reine Elizabeth en mai 1938.
Sa première affectation à terre au sein de la MRC (1922-1925) est importante en tant qu’officier supérieur d’état-major auprès du directeur de l’état-major de la Marine, le capitaine Walter Hose, où il joue notamment un rôle dans la création de la Réserve volontaire de la Marine royale du Canada. À différents moments de l’entre-deux-guerres, il a été commandant responsable des établissements à terre du NCSM Stadacona (Halifax) et du NCSM Naden (Esquimalt).
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Victor-Gabriel est Commandant de la région de la côte du Pacifique et s’occupe de la planification de la défense du détroit de Juan de Fuca et de la formation de la Réserve des pêcheurs. La guerre prenant de l’ampleur, il est promu commodore en 1940 et nommé attaché naval canadien à Washington. En 1941, il est promu contre-amiral lorsque le poste d’attaché devient le poste de membre naval de l’état-major interarmes de l’Armée canadienne.
Victor-Gabriel retourne en Colombie-Britannique en septembre 1943 en tant que Commandant de la côte du Pacifique, cette fois à Vancouver, où les quartiers généraux côtiers des trois armées étaient installés sur le site de la station de l’ARC à Jericho Beach (l’établissement de la MRC était connu sous le nom de NCSM Burrard). Il reste à ce poste jusqu’à sa retraite en 1946 et continue de vivre à Vancouver jusqu’à sa mort le 6 octobre 1976.
Nigel D. Brodeur
Nigel David Brodeur est né à Victoria, en Colombie-Britannique, le 18 juin 1932, à l’époque où son père Victor-Gabriel était commandant du NCSM Naden pour la première fois. Il entre au Collège militaire Royal Roads en 1950, alors que le programme n’est encore que d’une durée de deux ans, et se joint à la MRC après avoir obtenu son diplôme d’aspirant de marine en 1952. Il a fait partie de l’une des premières classes à acquérir toute son expérience à bord d’un gros navire dans la MRC plutôt que dans la Marine royale, à bord du croiseur NCSM Ontario, puis à bord du porte-avions NCSM Magnificent, avant de suivre ses cours de sous-lieutenant en Angleterre. De retour au Canada, il passe la seconde moitié des années 1950 à occuper divers postes d’officier subalterne à bord des frégates de classe Prestonian, les NCSM Sussexvale et Beacon Hill.
Comme la MRC continue de canadianiser l’instruction dans la période d’après-guerre, Nigel se retrouve au deuxième cours d’Officier de l’armement à Halifax en 1960, puis sert en tant qu’Officier de l’armement à bord du NCSM Kootenay en mer pendant la crise des missiles de Cuba d’octobre à novembre 1962. Après un séjour de quatre ans à terre à Halifax, d’abord à l’École navale, puis au Quartier général du Commandement maritime, il prend en décembre 1966 le commandement du NCSM Terra Nova, dont l’un des faits saillants est sa participation à la Revue de la Flotte du Centenaire de la Marine canadienne. Il est promu capitaine de vaisseau en 1972 pour devenir commandant de l’École de guerre navale des Forces canadiennes à Halifax, et sa prochaine (et ultime) affectation en mer est celle de commandant de la 5e Escadre de destroyers du Canada (1974-1976) basée à Halifax.
Au cours de cette période, il prend conscience de la nécessité de revitaliser la flotte canadienne, lorsque, pour l’exercice Ocean Safari 75 de l’OTAN, son escadre, composée des destroyers à vapeur Fraser, Nipigon et Skeena, vieillissants et datant d’avant le programme DELEX, est reléguée comme force d’opposition orange en raison de ses dispositifs de communication « obsolètes », qui n’étaient pas en mesure de s’intégrer à la force bleue principale. Heureusement pour la Marine, une grande partie de la carrière ultérieure de Nigel l’a placé en position de changer tout cela. Après avoir fréquenté le Collège de la Défense nationale en 1976, il se rend à Ottawa en tant que Directeur – Besoins maritimes (Mer) où il supervise la rédaction de l’énoncé des besoins pour ce qui allait devenir la Frégate canadienne de patrouille. Il continue d’exercer une grande influence sur ce projet lorsqu’il est promu commodore en 1978 pour accéder au poste de Directeur général – Doctrine et opérations maritimes, puis contre-amiral en 1980 pour accéder au poste de Chef – Doctrine et opérations maritimes, la plus haute affectation « navale » au QGDN intégré à Ottawa (le Commandement maritime était alors encore basé à Halifax).
Nigel s’est rend à Norfolk (Virginie) en 1982 pour occuper le poste de chef d’état-major adjoint chargé des opérations, du renforcement et du réapprovisionnement auprès du commandant suprême allié de l’Atlantique de l’OTAN, et (simultanément) de chef d’état-major auprès du commandant en chef de l’Atlantique occidental de l’OTAN.
Sa « retraite » à Victoria s’est avérée inhabituelle. Nigel est demeuré une force majeure pour la promotion d’une armée canadienne forte, en tant que codirecteur du défunt Réseau national des Associations de la Défense (RNAD, 1988-2006), et un auteur prolifique d’articles et de présentations pour divers périodiques navals et militaires.
Projet de la famille Brodeur – Marine - Références
Album photo
Le Musée naval et militaire de la BFC tient à remercier l’équipe créatrice de l’exposition numérique “La famille Brodeur – Une dynastie de la MRC“: Dr Richard Gimblett, Clare Sharpe and Ardent West Creative.
Nous tenons également à remercier les personnes suivantes qui ont contribué à l”‘Album de photos de la famille Brodeur“: Bibliothèque et Archives Canada, Archives de la Nouvelle-Écosse, Direction de l’histoire et du patrimoine (avec des remerciements particuliers à l’archiviste en chef de la DHH, Emilie Vandal), Oak Bay News, et les archives personnelles de Nigel Brodeur.